J’ai rencontré Éric Malterre, vous l’aurez deviné, sur Deviant Art. Et comment passer à côté d’un artiste capable de créer des beautés comme cette jeune femme négligemment allongée sur des draps qu’on imagine parfumés des odeurs d’une nuit de débauche, les yeux fermés pour mieux conserver la chaleur des souvenirs, et les mains négligemment posées sur un corps auquel on aimerait prodiguer des caresses bien autrement plus osées ? Impossible, dites-vous ? Oui, vous avez raison, et je n’ai pas pu me soustraire au charme discret que respire ce dessin si simple et si envoûtant, avec ses jeux subtils d’ombre et de lumière.

J’ai donc pris contact avec Éric presque aussitôt après avoir découvert son profil afin de lui proposer une commission pour la Bauge littéraire, une tâche qu’il n’a pas hésité à accepter. L’exécution de la commande a été des plus rapides, et j’ai découvert avec plaisir que, non content de rester fidèle à l’esprit de la Bauge, à son sujet et ses décors, Éric a non seulement réussi à allier le motif obligatoire – la Belle Liseuse – à une de mes passions – les vacances en bord de l’eau – mais il a poussé le vice jusqu’à s’inspirer du titre d’un de mes textes et de faire un très joli clin d’œil à mes Chattes en optant pour un personnage célèbre de la culture populaire, à savoir Catwoman.

Éric la présente en très petit costume, dotée de ses attributs félins, se vautrant sur les draps froissés d’un lit placé devant une porte donnant sur la terrasse et s’ouvrant sur le panorama époustouflant de beauté du Lac d’Orta, avec à l’horizon le relief montagneux du Piémont. Je dois avouer que je tiens ces détails géographiques de la description donnée par Éric – sous forme de hashtags – dans sa galerie sur Deviant Art, et j’ignore quelles raisons ont pu le pousser à choisir ce lieu plutôt qu’un autre pour offrir un décor somptueux à la jeune femme, un décor indéniablement à la hauteur de sa propre beauté. Est-ce que le lac joue un rôle dans une des histoires de Catwoman ? Je l’ignore. Y a‑t-il des détails biographiques ayant déterminé le choix ? Je l’ignore, mais cela ne m’empêche pas d’admirer le panorama et de donner libre cours aux regards qui glissent sur la peau satinée de la belle et la surface lisse des eaux jusqu’à l’horizon découpé par les rochers qui se lancent vers le ciel.
Le dessin tout en horizontalité se compose de plusieurs bandes superposées – les draps, la femme, le plan d’eau ciselé par la balustrade en fer forgé, les eaux du lac, la ligne des montagnes, le ciel avec ses nuages – dont le mouvement latéral est élégamment contre-balancé par la verticalité des murs et de la porte ouverte donnant sur la terrasse, conférant à la composition une tranquillité sereine, reprise par les eaux calmes du lac et le ciel dégagé. La présence d’éléments perturbateurs qui sortent du cadre linéaire de la composition de base (les jambes repliées de la fille, sa tête, le chaton, la poignée de la porte, le croisillon, le relief montagneux) évite au dessin de tomber dans le piège de la banalité géométrique dont le seul souci serait la composition. Quant à l’exécution, Éric Malterre a consacré un grand effort à la représentation des effets de distorsions du verre, des effets qui donnent un certain flou au décor en fer de la balustrade, mais presque absents des parties plus éloignées du paysage comme les eaux du lac et la montagne.
Si j’admire le souci de composition et l’attention portée aux détails, le dessin n’est pas dépourvu de faiblesses, la principale étant sans aucun doute l’absence de contact entre le corps couché et les draps. Si la jeune femme a sans doute un BMI parfait, elle est pourtant loin de maîtriser la lévitation, un prodige qui seul lui permettrait de flotter au-dessus des draps sur lesquels le corps semble n’avoir aucun effet. Pas la moindre dépression pour témoigner de la présence d’un objet qui doit bien peser dans les cinquante à soixante kilogrammes. Face à l’amour du détail employé à rendre le plissé des draps, ce manque d’attention dans l’exécution frappe d’autant plus fort les regards scrupuleux.
Comme le format du dessin n’est pas compatible avec les exigences de la mise en page de la Bauge littéraire, Éric a mis à ma disposition une version spécialement adaptée qui respecte les contraintes techniques tout en évitant les distorsions. À scruter l’image de très près, vous comprendrez que le passage à un format tout en longueur a quand même laissé quelques traces, notamment sur le corps de la demoiselle qui semble s’être très légèrement allongé, mais l’effet est négligeable surtout comparé aux avantages d’une telle adaptation. Comme vous pouvez le constater, les murs prennent une place bien plus importante dans la version « bannière » par rapport à l’original, avec sur les côtés un effet de noir qui ajoute une touche de mystère à l’image, une intrusion d’obscurité dans un paysage jusqu’ici dominé par la clarté méditerranéenne. Et comme la partie inférieure du dessin a été enlevée, la plus grande faiblesse du dessin, à savoir le manque de contact entre le ventre du modèle et la surface où celui-ci repose, s’en trouve éliminée, ce qui renforce encore la très bonne impression de la composition.
