Damien Cha­zelle, La La Land

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Affiche pour La La Land

Avis avant lec­ture : La sor­tie en France de La La Land est pro­gram­mée pour le 25 jan­vier 2017. Mon inten­tion n’est pas de spoi­ler, mais vous ris­que­rez tout de même de tom­ber sur l’un ou l’autre détail que vous auriez peut-être mieux aimé décou­vrir en regar­dant le film. Dans ce cas-là, reve­nez plus tard.

Une comé­die musi­cale dans la Bauge – lit­té­raire ? Un film ouvert au grand public – où même les States avec leur pru­de­rie pro­ver­biale admettent les ados à par­tir de 13 ans – dans l’antre du San­glier qui adore se vau­trer dans la por­no­gra­phie la plus expli­cite ? Je sens que cela mérite une expli­ca­tion, d’au­tant plus que le San­glier n’a pas l’ha­bi­tude de par­ler ciné­ma et qu’il plonge ici dans des eaux incon­nues et bien pro­fondes. Après tout, un sujet assez loin de celui dont j’ai l’ha­bi­tude de vous entre­te­nir, et un genre dans lequel, je l’a­voue sans états d’âme, je suis loin d’être à l’aise, on peut se poser des ques­tions. Et si je ne parle pas sou­vent de mes pré­fé­rences en matière de sep­tième art, je peux vous assu­rer que celles-ci se situent assez loin de la comé­die musi­cale, orien­tées plu­tôt vers la Science Fic­tion et le Fan­tas­tique. Si je suis donc allé voir ce film, c’é­tait plu­tôt, au départ, pour faire plai­sir à mes femmes (ma chère et tendre et une de mes filles), mais je me suis retrou­vé dans un véri­table tour­billon de cou­leurs et de sons, ani­mé par un couple de pro­ta­go­nistes qu’on n’est pas près d’ou­blier. Voi­ci donc quelques petites idées ins­pi­rées par La La Land, film qui, après avoir sus­ci­té l’en­thou­siasme des cri­tiques à la Mos­tra de Venise où le film a été pro­je­té en ouver­ture du fes­ti­val, le 31 août 2016, et après avoir raflé pas moins de sept Gol­den Globes, le 7 jan­vier 2017, est enfin sor­ti dans les salles alle­mandes, le 12 jan­vier. Et votre ser­vi­teur a aus­si­tôt pro­fi­té de son week-end pour savoir ce qu’il en était, de cette comé­die musi­cale « accueilli[e] par des salves d’applaudissements à répé­ti­tion » pen­dant sa pre­mière pro­jec­tion [1]Isa­belle Regnier dans Le Monde du 2 sep­tembre 2016 dans la cité des Doges.

La La Land - City of stars (official clip)
La La Land – City of stars (offi­cial clip)

L’ac­tion de ce film se déroule presque entiè­re­ment à Los Angeles, la fabrique de rêve à laquelle le titre fait allu­sion en repre­nant le sobri­quet mi-moqueur mi-sen­ti­men­tal pour la Cité des Anges. Mais « La La Land », c’est aus­si une expres­sion que l’é­di­tion amé­ri­caine de la Wiki­pe­dia explique comme « a state of being out of touch with rea­li­ty » – l’é­tat de quel­qu’un qui a « per­du contact avec la réa­li­té ». Un titre qui laisse son­geur, sur­tout après avoir vu, pen­dant plus de deux heures, com­ment les rêves se décons­truisent quand ils se frottent de trop près à la réa­li­té, cette vie de tous les jours qui arrive à tout user, et jus­qu’à la trame des rêves – hol­ly­woo­diens et autres. Un titre qui per­met de telles asso­cia­tions laisse devi­ner que tout s’y construit autour des aspi­ra­tions de jeunes artistes : Mia, une comé­dienne débu­tante incar­née par Emma Stone et Sebas­tian, un musi­cien de jazz joué par Ryan Gos­ling avec toute la fougue que le genre laisse entre­voir dans ses meilleurs ins­tants. Ces deux pro­ta­go­nistes mettent un cer­tain temps avant de se trou­ver – et avant de se perdre – et si c’est leur brève liai­son qui leur per­met de trou­ver la voie qui leur convient, c’est le choix assu­mé de mar­cher sépa­ré­ment qui leur per­met de réa­li­ser leurs aspirations.

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On l’a déjà dit un peu par­tout (voir dans le Monde, le Figa­ro ou encore Pre­miere), La La Land renoue avec la grande tra­di­tion amé­ri­caine de la comé­die musi­cale, et les cri­tiques sont légion à évo­quer le sou­ve­nir de Fred Astair et de Gin­ger Rogers. Une des sources dont ce film tire son ins­pi­ra­tion est donc le ciné­ma lui-même, le ciné­ma qui y est omni­pré­sent, que ce soit à tra­vers les stu­dios, les mul­tiples audi­tions de Mia, l’é­vo­ca­tion des grands sou­ve­nirs du ciné­ma hol­ly­woo­dien (une des scènes les plus spec­ta­cu­laires se déroule dans l’ob­ser­va­toire de Grif­fith Park qui a déjà accueilli James Dean, en 1955, dans La Fureur de vivre) et jus­qu’au pano­ra­ma s’ou­vrant sur Los Angeles et ses col­lines, vue « ico­nique » que n’im­porte quel spec­ta­teur asso­cie avec Hol­ly­wood et les rêves de gloire et d’é­va­sion que sa seule évo­ca­tion fait naître. Si le rêve donc s’in­carne, se maté­ria­lise, c’est de la matière aus­si qu’il se nour­rit. C’est même là-des­sus qu’il s’ap­puie, sur des endroits bien pré­cis, pour ensuite prendre son envol. Mais il y a plus, et quand les pro­ta­go­nistes se donnent ren­dez-vous au ciné­ma pour assis­ter à la pro­jec­tion de La Fureur de vivre, La La Land renoue avec la tra­di­tion plu­sieurs fois cen­te­naire du play in a play, la pièce de théâtre au milieu de la pièce de théâtre, arti­fice qui per­met de reflé­ter jus­qu’à l’in­fi­ni le monde et ses per­son­nages. Arti­fice dont le modèle le splus spec­ta­cu­laire se trouve chez Sha­kes­peare, dans Ham­let, quand le prince héri­tier pro­fite du pas­sage d’une troupe déam­bu­lante pour confron­ter son oncle aux soup­çons entou­rant la mort de son pré­dé­ces­seur sur le trône du Dane­mark. Héri­tage vaste que celui assu­mé par Damien Cha­zelle, qui le met en cor­res­pon­dance avec un âge où le monde pou­vait être per­çu res­pec­ti­ve­ment comme un songe (Cal­derón de la Bar­ca, La vie est un songe) ou une scène de théâtre (le même, Le Grand Théâtre du monde), une illu­sion qui tient par­fai­te­ment debout, ali­men­tée par nos propres dési­rs et mise en scène par les artistes.

À lire :
Kirographaires : fin d'un épisode
Mia and Sebastian in LA LA LAND
Mia (Emma Stone) et Sebas­tian (Ryan Gos­ling) in LA LA LAND. Cré­dit Pho­to : Dale Robinette

Pour ce qui est des acteurs, il me semble que c’est sur­tout grâce à la ravis­sante Emma Stone que je vous cause aujourd’­hui de ce film. Il s’a­git là d’une actrice qui rap­pelle jus­qu’aux ama­teurs les plus endur­cis de lit­té­ra­ture éro­ti­co-por­no­gra­phique que la séduc­tion n’a pas besoin de se dévoi­ler pour arri­ver à ses fins, et qu’un regard peut être mille fois plus incen­diaire qu’un téton qui se dresse sous le regard lubrique d’un vieux per­vers. Il faut l’a­voir vue dans la scène hila­rante où, après avoir com­man­dé une chan­son à la troupe qui anime la soi­rée à la pis­cine, elle entame une danse des plus pro­vo­ca­trices mêlant les gestes de la pro­vo­ca­tion à celles de la séduc­tion pour se ven­ger de son (futur) par­te­naire : Regarde un peu ce que tu n’au­ras jamais ! C’est vrai que celui-ci l’au­ra cher­ché en se mon­trant un par­fait rustre dès la pre­mière ren­contre – et réci­di­viste avec ça ! Et quand Emma bouge, que ce soit aux sons d’un tube des années 80 ou au rythme d’une mélo­die jaz­zeuse inter­pré­tée par Sebas­tian, c’est avec une par­faite éco­no­mie des gestes, une rete­nue qui sou­ligne d’au­tant mieux ce qu’elle a à dire, lais­sant entre­voir des abîmes qui vous happent à l’im­pro­viste, sans crier gare. Si vous n’a­vez pas encore vision­né le clip ci-des­sus, c’est l’oc­ca­sion de le faire, vous y trou­ve­rez, vers la fin, la scène dans laquelle Mia rejoint Sebas­tian au pia­no, un court extrait qui pour­tant rend hon­neur à la grâce souple de ses mou­ve­ments, une sou­plesse qu’on n’hé­si­te­rait pas à qua­li­fier de ser­pen­tine. Et quel est le mâle qui refu­se­rait le bai­ser de tels cro­chets, admi­nis­tré avec une grâce de pré­da­trice ? Pré­da­trice dont la sou­plesse ne fait que mieux sou­li­gner la capa­ci­té à se glis­ser dans la peau de ses vic­times afin de s’en empa­rer corps et âmes – Vénus toute entière à sa proie atta­chée.

Chez Damien Cha­zelle, le jeu domine tout. Celui qui met aux prises le rêve et la réa­li­té, celui qui domine le monde et sa comé­die per­pé­tuelle, celui qui dis­tri­bue à tour de bras des rôles dont cer­tains vous collent à la peau – au point de ne plus pou­voir en sor­tir. La La Land, c’est un film aus­si léger que pro­fond qui donne envie de s’a­ban­don­ner au jeu des miroirs et des reflets qu’ils se ren­voient pour plon­ger dans un uni­vers en éter­nelle recons­ti­tu­tion. Et d’au­tant mieux si c’est en dansant.

Cré­dits pho­to­gra­phiques : Lions Gate Enter­tain­ment Inc. et Dale Robinette

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Isa­belle Regnier dans Le Monde du 2 sep­tembre 2016
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95