John William God­ward – l’An­ti­qui­té allongée

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Godward, fille vêtue de gaze jaune (détail)
God­ward, fille vêtue de gaze jaune (détail)

À force de regar­der les tableaux de John William Good­ward, on se demande un peu à quoi ont dû res­sem­bler les fesses de toutes ces femmes qui ont pas­sé leur temps cou­chées ou assises sur du marbre… Il y a par­fois des peaux ou des dra­pe­ries pour adou­cir la mor­sure de la pierre, mais on ima­gine mal com­ment ces blêmes beau­tés, dont l’oc­cu­pa­tion prin­ci­pale semble être la recherche d’une pose conve­nable, ont sup­por­té à lon­gueur de jour­née de voir leurs chairs appé­tis­santes ain­si apla­ties par une matière aus­si peu sensible.

Godward, la sieste (détail)
God­ward, la sieste (détail)

À pro­pos « matière » : Le marbre est à un tel point omni­pré­sent dans les tableaux de God­ward et de quelques autres peintres anti­qui­sants (par­mi eux Alma-Tade­ma, pour ne nom­mer que le plus célèbre) qu’on a pu les dési­gner comme appar­te­nant à la « marble school » (l’é­cole du marbre). J’ai dit « anti­qui­sant » et j’ai dit « marbre », maté­riau par excel­lence que le com­mun des mor­tels asso­cie avec les âges révo­lus de la Grèce et de Rome. Et il y en a, par­mi les cri­tiques et les his­to­riens de l’Art, qui disent de God­ward qu’il fut le der­nier peintre de « sujets clas­siques », voire le « résu­mé de cinq cents  ans d’in­fluence clas­sique sur la pein­ture occi­den­tale » (Vern Swan­son, John William God­ward : The Eclipse of Clas­si­cism).

Godward, le billet doux (détail)
God­ward, le billet doux (détail)

Mais, à y regar­der de plus près, il n’en est – hélas ! – rien. S’il est vrai que le décor fait intui­ti­ve­ment pen­ser aux civi­li­sa­tions flo­ris­santes de l’An­ti­qui­té, il n’y a, à de très rares excep­tions près, rien dans ces tableaux qui jus­ti­fie de voir dans God­ward un peintre de sujets clas­siques. Rien qui nous fasse mieux com­prendre ces âges recu­lés, rien qui illustre les grands moments de leur his­toire. Il suf­fit pour­tant, pour en savoir plus long, de faire défi­ler les titres qui peuvent four­nir quelques indi­ca­tions : « Passe-temps anciens », « La contem­pla­tion », « Il m’aime, il ne m’aime pas », « Un cadeau d’an­ni­ver­saire », « Des moments per­dus », « À la porte du jar­din », etc. Il s’a­git tout sim­ple­ment de scènes de genre, pla­cées dans un décor qui est cen­sé évo­quer les rivages médi­ter­ra­néens du temps d’Au­guste ou de Néron, ou un inté­rieur qu’on pour­rait ima­gi­ner dans quelque pré­fec­ture aus­trale de l’Em­pire des Césars. Il en est donc, en fin de compte, de ses tableaux comme de ses contem­po­rains, dont on a pu dire qu’ils étaient des « Vic­to­riens en toge ».

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Godward, l'autel du jardin (détail)
God­ward, l’au­tel du jar­din (détail)

God­ward est, de nos jours, très peu connu, et il suf­fit de par­cou­rir le cata­logue de ses tableaux, éton­nam­ment com­plet, pour se rendre compte des rai­sons d’un tel oubli : Un seul tableau, iso­lé, peut être curieux, inté­res­sant, atti­rant même par le sujet et la maî­trise de l’exé­cu­tion, et l’in­no­cent flâ­neur peut se trou­ver sous le charme – comme moi, qui suis res­té long­temps plan­té devant la beau­té allon­gée qui guette au troi­sième étage du musée des Beaux-Arts de Cologne. Mais après avoir vu des dizaines de tableaux aux sujets et aux décors éter­nel­le­ment répé­tés, on se lasse, et on demande des rafraî­chis­se­ments, soit au bar du self au rez-de-chaus­sée, soit à une époque moins fade de l’his­toire de l’art.

Godward, la vendeuse de fruits (détail)
God­ward, la ven­deuse de fruits (détail)

Pour­quoi est-ce que j’ai donc choi­si un de ses tableaux pour illus­trer, pen­dant un temps, l’en­trée de ma bauge ? Sans doute parce que l’en­chan­te­ment des pre­miers regards sub­siste, et que même un cor­tège de tableaux plus ou moins insi­pides ne suf­fit pas à rayer les bons sou­ve­nirs lais­sés par une « expo­si­tion » innocente.

PS : Cet article a été rédi­gé à l’oc­ca­sion de la « mise en tête » d’un tableau de God­ward qu’on peut admi­rer au musée Wall­raf de Cologne, « Femme allon­gée ». Comme les en-têtes changent au rythme de mes décou­vertes, la toile de God­ward a depuis été rem­pla­cée par d’autres, non moins agréables à regar­der, et c’est pour cela que je tiens à arra­cher la belle allon­gée au som­meil des archives élec­tro­niques pour vous la pré­sen­ter ici. Bonne découverte !

John William Godward, Femme allongée
John William God­ward, Femme allongée
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95