Interview initialement publiée le 15 avril 2012 dans le blog des Éditions Edicool, maison d’édition nativement numérique disparue en 2014.
Personnage à facettes multiples dans la grande comédie humaine, il cherche à s’évader de l’ennui ambiant par l’exaltation des petits gestes : un pavé déplacé par un brin d’herbe, le vol d’une mouche qui se casse la gueule conte une vitre, encore et encore, le regard de l’amant qui se pose sur les lèvres de la femme, l’odeur de celle-ci qui lui défonce les narines, les mains qui se serrent et s’agitent sur un quai de gare pour dire adieu.
(Rire) Et bien, on dirait que la bière coule à flot en Allemagne. A ce propos, un allemand qui écrit en français c’est plutôt original, non ? Tu peux nous en dire plus sur ce choix ?
La langue française, c’est le premier et sans doute le plus grand amour de ma vie. Ce qui explique sans doute l’omniprésence de l’érotisme dans mes écrits.
Quant à la bière, c’est vrai qu’elle coule à flot et qu’elle n’est pas mauvaise du tout dans ma région, mais quand j’en veux une qui me fasse rêver, je me rends chez nos voisins les belges.
En ce qui concerne la bière, je laisserai les lecteurs seuls juges. Par contre, en ce qui concerne le français, en te lisant, j’ai l’impression de redécouvrir la langue comme elle se maniait au XIXème siècle. C’est un effet voulu ? Une forme de nostalgie ? Une réaction à l’ennui que tu évoquais plus haut ?
Il n’y a aucune nostalgie là-dedans, plutôt une question d’éducation voire d’héritage. J’ai découvert la littérature en compagnie de Julien Sorel et de Lucien Chardon, je me suis ensuite enfoncé dans les derniers recoins du monde littéraire avec Pétrus Borel et Frédéric Soulié avant d’aboutir, tout au fond de ce long XIXe siècle, à l’exaltation de la mémoire avec Proust.
En regardant de près, on se rend compte que le XIXe siècle a façonné en profondeur nos sociétés actuelles. Même nos valeurs littéraires, malgré tout l’engagement d’un Aragon, d’un Malraux ou d’un Sartre, et malgré encore l’empreinte beaucoup trop légère qu’a laissée le Nouveau Roman, ne sauraient se comprendre sans avoir recours à la comédie humaine ou à l’année charnière, 1857, qui a vu la publication de tant d’œuvres clé de la littérature européenne.

En parlant d’ancrage, en même temps que tu publiais ton premier roman (L’aventure de Nathalie, éditions Kirographaire, 2011), tu participais au premier opus des 10…, du coup j’ai envie de te demander si pour toi, papier et numérique constituent le prolongement d’une même aventure, où s’il s’agit de deux expériences différentes ?
Au départ, c’est une même aventure, un même pari aussi, celui de venir à bout de la page blanche. Ensuite, le numérique, c’est bien plus que de la lecture. Plus que des textes illustrés aussi. Le texte peut s’accompagner d’une bande son, et on peut y mettre des hyperliens qui permettent de briser l’unité de la narration, d’ouvrir de nouveaux horizons, au risque de voir le lecteur partir pour de bon, mais dans l’espoir aussi de le voir revenir enrichi au même titre que le texte qu’il vient de quitter.
Avant de se figer dans un format papier, une version illustrée de mon premier roman a été publiée sur la toile (où il se trouve toujours d’ailleurs), avec la possibilité offerte aux lecteurs de laisser des commentaires au bout de chaque chapitre. Un certain nombre d’internautes se sont servis de cet outil supplémentaire, ce qui leur a permis de quitter le rôle passif dans lequel la conception « classique » de la littérature voudrait les enfermer.
Je dirais donc qu’il s’agit clairement d’expériences différentes, mais peut-être plutôt au niveau du lecteur qu’à celui de l’auteur.
Lorsque tu parles des commentaires, t’en es-tu servi dans l’écriture de ton roman ? Ou l’as-tu mis en ligne seulement une fois le texte fini ?
Le roman a été grosso-modo terminé au moment de le mettre en ligne. Mais comme je l’ai publié chapitre par chapitre, pour ne pas étouffer les lecteurs sous une avalanche de mots, je me suis relu chaque jour et j’ai apporté de petits changements en cours de route. Mais je n’ai pas touché à la trame du récit. Quand j’ai changé quelque chose, c’était pour améliorer le style, pour trouver un mot plus apte à exprimer ma pensée ou mon ressenti. Je n’ai donc pas utilisé les commentaires des lecteurs cette fois-ci, mais je conçois que cela puisse se faire, un peu à l’instar des séries américaines où le scénario peut changer en fonction de la réaction du public.
Ce qui se tient si l’on considère que la Comédie humaine est un rassemblement de textes épars écrits à divers moments, divers endroits, et sous divers noms… Mais ne penses-tu pas qu’à force de tirer sur la corde de l’écriture sociale, l’oeuvre, le style et le propos de l’auteur finissent par se diluer et se perdre dans le grand brouhaha du web ?
C’est une réelle possibilité et il faut être conscient de ce que cela pourrait signifier, à savoir la fin de l’auteur aux contours clairs, bien définis. Ceci dit, il faut savoir que cette conception de l’auteur, qui se réclame – encore – de la pensée des XVIIIe et XIXe siècle, est assez récent. Pendant des millénaires, l’auteur n’était pas perçu comme un être de génie, un créateur inspiré par la parole divine, mais plutôt comme un artiste qui reprend la parole d’autrui pour illustrer un sujet qui existe depuis longtemps déjà. Son seul mérite était de trouver de meilleures façons de tourner les mots, d’agencer les images, de faire vibrer sa corde. Avec l’avènement de l’internet et de l’auditoire mondial, on revient peut-être vers ces idées originales de ce que pouvait être un artiste – auteur.
Quant à moi, comme je l’ai dit, j’ai d’abord terminé mon roman, et je l’ai publié ensuite. Cela veut sans doute dire que j’adhère encore à l’image du solitaire inspiré qui, dans sa petite chambre, (re)crée un monde. Pour la suite, on va voir. Il y a plusieurs pistes que je voudrais explorer, et il y a, parmi celles-ci, au-moins une qui me permettra de travailler « en plein air » – pour reprendre la formule qui a bousculé la peinture depuis les années 1830.

Du coup peut-on dire que ta participation aux 10… comme auteur pour le premier opus, et comme maître d’oeuvre du troisième à paraître, fait partie de ces pistes à explorer ? Autrement dit, peux-tu déjà dresser un premier bilan intermédiaire de ta collaboration avec Edicool, en tant qu’aventure humaine et/ou littéraire ?
Pour ce qui est du premier volume, je n’ai pas vraiment eu l’impression de faire partie d’un effort collectif. Je savais bien évidemment qu’il y avait toute une équipe d’auteurs, mais ils ne se sont pas vraiment constitués en groupe. C’est peut-être parce que l’équipe des « 10 petites suites 2806″ a été trop hétéroclite ? Il me semble que l’élément collectif joue un rôle plus important dans l’effort de Franck-Olivier Laferrère qui a donné naissance au deuxième épisode, « Aimer, c’est résister ». Ce volume a vu participer les membres de Ciderrant Prod, des personnes donc qui se connaissent depuis un certain temps et qui échangent. Encore que, si j’ai bien compris les intentions de FOL, il s’agit surtout, pour lui, de résister aux sirènes d’une certaine collectivisation littéraire.
Quant à moi, l’idée de faire partie d’un ensemble est beaucoup plus présente depuis que je dirige le volume qui se prépare pour l’été, rien que par le seul fait que je connais tous les auteurs impliqués et qu’il y a des contacts assez noués entre eux et moi. Mais comme l’idée de base de la collection est de permettre à chacun de s’épanouir, d’être bien dans son texte, et de faire entendre sa voix, il me semble qu’on est très loin, dans le monde des Dix, d’un effort collectif.
Quant à l’aspect humain de ma collaboration avec Edicool, je suis ravi par la richesse que je découvre quotidiennement dans les pensées et les mots de ceux qui participent à cette aventure éditoriale.
Oui, mais là tu triches… (rire). C’est toi qui était sensé être interviewé (rire) ! Mais c’est vrai que l’idée derrière le premier volume était d’avantage celle d’un tir groupé que d’une réelle mise en relation des auteurs. Maintenant, aussi, ce n’est pas une règle, c’est pour cela que nous avons souhaité une direction d’ouvrage tournante… Découvrir différents styles, propos, ou conception de l’exercice. Et pour nous aussi cette expérience est très enrichissante, d’ailleurs nous attendons impatiemment que tu nous rendes ta copie… Si tu ne vois rien à ajouter, je pense que nous pouvons nous dire à bientôt, pour la suite du récit de cette aventure ?
L’aventure va continuer, et c’est ça le principal ! J’aimerais quand-même, avant de terminer cet entretien, exprimer mon admiration devant les beaux textes que ma collaboration avec Edicool m’a permis de découvrir. Comme, tout récemment encore, celui d’Hervé Fuchs, Les Folles de la Nationale 4, dont je recommande très, très vivement la lecture à toutes celles et à tous ceux qui voudraient découvrir les abîmes qui s’ouvrent à deux pas de chez nous, en pleine Lorraine.
Propos recueillis par Vincent Bernard