Savez-vous ce que c’est que le 103 ? Non, non, chères lectrices et chers lecteurs, ce n’est pas la version 2.0 de ce qu’il faut répondre quand un autre de vos amis vous pose la question de savoir ce que c’est que le sens de la vie. C’est tout simplement le chiffre ayant désigné le Départment de la Roer, chiffre qui figurerait sur les plaques des voitures immatriculées à Cologne, si, en 1814, la campagne de France s’était terminée par la victoire des armes françaises.
Aujourd’hui, Köln se trouve à 70 kilomètres de la frontière belge, mais de 1801 à 1814, la ville a fait partie de la République Française, comme sous-préfecture du département de la Roer. Pendant 13 ans, le Rhin avait retrouvé son rôle de frontière qu’il avait tenu pendant quatre siècles au temps des Empereurs Romains. On n’en parle pas souvent, de ce temps-là, à Cologne. Sans doute parce que les habitants ont gardé de trop mauvais souvenirs des années après la Grande Guerre, quand la région minière de la Ruhr avait été occupée par des troupes franco-belges pour assurer le paiement des réparations, et que ces années-là ont fait tache sur celles d’une occupation antérieure. Qui pourtant avait été vécue tout d’abord comme une – libération.
Parlons un peu d’Histoire. En 50, l’Empereur Claude accorda le statut de Colonie à la ville qu’une tribu germanique, émigrée de la rive droite, y avait construite. Après l’érection de la province de Germanie Inférieure vers la fin du Ier siècle, la ville est devenue préfecture, c’est-à-dire résidence des légats romains. Statut qu’elle a gardé jusqu’à la chute de l’Empire en 405. Depuis, des rois francs l’ont choisie comme siège, sans doute jusqu’à ce que les rois mérovingiens procédassent à l’élimination des autres familles à prétentions royales au cours du 5ème siècle. Cologne, sis à la limite extrême de la civilisation latine, a donc toujours regardé vers l’ouest. Même les Francs, confédération issue de la fusion d’une multitude de tribus à l’est du Rhin, ont vite succombé aux attraits de la civilisation et ont choisi domicile au milieu des populations romanisées. En 843, au moment du partage de l’Empire de Charlemagne entre ses trois petits-fils, Cologne n’a pas échu à Louis le Germanique, mais bien à Lothaire, patron toponyme de la Lorraine. Pendant tout le long du Moyen-Âge, la ville continue à faire partie de cet ensemble regroupant des régions appelées à apporter une partie importante à l’héritage culturel européen (les Flandres, les Pays-Bas, la Bourgogne, la Provence et jusqu’à la Lombardie au-delà des Alpes). Aussi voit-on, en 1184, Nicolas de Verdun, un orfèvre lorrain, réaliser la châsse des Rois Mages, une des reliques les plus importantes de la chrétienté, emportée par l’Empereur Barberousse de Milan à Cologne et vénérée dans sa cathédrale, elle aussi symbole tangible de la persistance des échanges entre la Rhénanie et les territoires occidentaux. L’apogée de la peinture à Cologne, entre la fin du Moyen-Âge et la Renaissance, lié aux noms de Stefan Lochner (1410 – 1451) et de Barthélemy Bruyn (1493 – 1555), n’est pas imaginable sans les influences occidentales qui venaient constamment enrichir la vie culturelle de la ville.

Vu un tel contexte, il n’est pas étonnant que les idées nouvelles des Lumières furent accueillies avec enthousiasme par la bourgeoisie de Cologne, malgré la domination pluri-séculaire de l’Église. La réception des troupes révolutionnaires en 1794 et des libertés civiles fut des plus enthousiastes. L’arbre de la liberté fut érigé sur la place centrale, le nouveau marché, et Napoléon, quand il rendit visite à sa bonne ville de Cologne en 1804, eut le plaisir de trouver la ville en fête.
Dix ans plus tard, l’épisode était terminé. Cologne fut intégré à la province rhénane du royaume de Prusse, et le courant nationaliste du XIXème siècle, le délire après la victoire de 1870 et la proclamation de l’Empire Allemand à Versailles, ainsi que l’affreuse gueule de bois après la défaite en 1918, dont le souvenir reste lié à la même ville, emportèrent la mémoire. Signe révélateur, aucune des rues de Cologne garde le souvenir d’un des cinq préfets du département de la Roer. Pourtant, à lire les récits des historiens ou les sources contemporaines, pour la plupart, c’était de bons administrateurs. La période française n’occupe aucune place dans la mémoire collective des habitants de Cologne. Ceux qui fréquentent les musées savent en général que la sécularisation, avec son abolition des monastères et d’une bonne partie des églises, est à l’origine du musée des Beaux-Arts, qui est justement célèbre pour sa collection de retables médiévaux. Pour les autres, tout se résume aux anecdotes qui expliquent des particularités linguistiques du parler local.
Profitons alors de cette date du 6 octobre 1794, jour de l’entrée des troupes révolutionnaires dans la ville millénaire de Cologne, pour rappeler le travail des hommes et des femmes qui ont contribué à résolument propulser Cologne vers la vie moderne.