Kurt Flei­scher, She walks in beauty

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J’ai eu l’oc­ca­sion, très récem­ment, de consa­crer un article à Kurt Flei­scher, un artiste amé­ri­cain qui m’a fait l’hon­neur de contri­buer une illus­tra­tion à la Bauge lit­té­raire. C’est par la même occa­sion que j’ai acquis un de ses des­sins, mais comme les colis voyagent moins vite que les octets, ce n’est qu’au­jourd’­hui que j’ai pu aller le cher­cher à la douane (et oui, quand on fait ses courses hors-UE, la douane s’en mêle !). Comme je suis tou­jours fier de mes petites décou­vertes et que j’aime par­ta­ger ma joie face à la beau­té, je tiens à vous pré­sen­ter cette der­nière acquisition.

Kurt Fleischer, She walks in beauty
Kurt Flei­scher, She walks in beauty

Il s’a­git d’un des­sin à l’encre, le por­trait d’une beau­té tout en noir, à l’exé­cu­tion rapide, aux traits qui tombent sur le papier comme des coups de hache, comme s’il fal­lait déga­ger le modèle de la matière où celui-ci serait tenu cap­tif. La jeune femme en ques­tion se tient tout droit, le visage enca­dré de noir, celui de ses che­veux et celui d’une masse noire au fond, un rideau sans doute ou un mur. Consciente de sa beau­té trou­blante, son regard res­semble à un défi adres­sé au spec­ta­teur, à ce vis-à-vis qu’il faut ima­gi­ner de l’autre côté de l’art, pri­son­nier de la réa­li­té qui le réduit à la seule convoi­tise, impuis­sante face à la sen­sua­li­té et à la force qui se dégagent des yeux grands ouverts et de la pose tout en fier­té assu­mée comme une évidence.

Le regard de cette femme n’a, mal­gré sa fran­chise, rien de can­dide, il défie, invi­tant à oser, à se lais­ser aller, à plon­ger au fond de ces trous qui s’ouvrent vers un inté­rieur autre­ment plus trou­blant que celui auquel on accède par les voies du bas ô com­bien convoi­tées. En même temps, c’est elle qui, dans un exci­tant ren­ver­se­ment des rôles, vous tra­verse de ses regards dans un jeu d’in­ces­santes inter­pé­né­tra­tions. Il y a une inti­mi­té bien plus pro­fonde ici, dans le jeu des regards qui se frôlent et s’at­tirent, que ce que la nudi­té insou­ciante ne laisse devi­ner ! Elle semble scru­ter les inten­tions sans rien dévoi­ler de ce qu’elle peut bien pen­ser, admi­rable contraste avec une nudi­té qui ne fait que sou­li­gner son impo­sante autonomie.

La publi­ca­tion ini­tiale du des­sin, dans un tweet daté du 10 mars 2017, a été accom­pa­gnée de deux lignes tirées d’un poème de Lord Byron :

She walks in beau­ty, like the night
Of cloud­less climes and star­ry skies ;

She walks in Beauty, like the night
She walks in Beau­ty, like the night

Ce qui, dans la tra­duc­tion de Ben­ja­min Laroche, donne : « Elle marche dans sa beau­té, sem­blable à la nuit des cli­mats sans nuages et des cieux étoilés ; »

Plus loin, il y est ques­tion de « noire che­ve­lure », d’un « sou­rire sédui­sant », mais aus­si d’un « cœur dont l’amour est inno­cent ». Le poème est tout entier axé sur le contraste entre l’ombre et la lumière, le jour et la nuit, réunis dans un mélange par­fai­te­ment équi­li­bré dans l’ap­pa­ri­tion qui passe près du poète : « Une ombre de plus, un rayon de moins dimi­nue­rait de moi­tié cette grâce ineffable ».

On retrouve bien le modèle du poème dans la jeune femme de notre des­sin, avec sa « noire che­ve­lure » et son sou­rire quelque part entre sédui­sant et moqueur. Et à relire le poème de Byron, on se rend compte que les vête­ments en sont absents, tout comme dans le des­sin. Et quoi de plus beau, effec­ti­ve­ment, qu’une jeune femme vêtue de sa seule beau­té ? Je ne sais pas si Kurt a eu l’in­ten­tion de don­ner sa ver­sion de la belle mar­cheuse de Lord Byron, ou s’il s’est empa­ré des lignes d’un poème vague­ment en phase avec son sujet pour les col­ler sur le des­sin en ques­tion. Quoi qu’il en soit, sa jeune femme conti­nue à trou­bler de ses regards celles et ceux qui la contemplent, une petite mer­veille qui exhibe une sexua­li­té d’au­tant mieux assu­mée qu’elle est négligée.

À lire :
Kurt Flei­scher, un artiste pour faire par­ler les ombres
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95