
Nathalie adore faire des cadeaux. Et le plus beau cadeau qu’elle puisse offrir, c’est, évidemment, elle-même. Il faut dire qu’avec ses vingt-trois ans à peine, ses cheveux de jais bouclés qu’elle porte longs et détachés et ses yeux très foncés où se reflètent les désirs qu’elle réveille, il serait difficile d’imaginer de don plus raffiné. Et ceux qui le reçoivent ne s’en plaignent jamais, même si les heures sont d’emblée comptées et ne dépassent jamais le temps prévu par l’arrangement initial.
Inutile de dire qu’avec un nom pareil, l’arrivée des fêtes de fin d’année constitue un des moments forts dans la vie de Nathalie, au point que parfois, elle ne sait plus trop dire si elle travaille encore ou si elle s’éclate déjà. Toujours est-il que, à partir de la mi-novembre, l’agence dans laquelle elle a été engagée lui colle des rendez-vous quotidiens, parfois même plusieurs d’affilée. Ce qui tranche avec le reste de l’année, où elle peut rester une semaine entière sans la moindre rencontre professionnelle. Ce n’est pas qu’elle crèverait de faim, mais les échanges lui manquent, la joie et l’émerveillement qu’elle trouve dans les yeux des hommes qui découvrent, au fur et à mesure des vêtements qui tombent, la splendeur de sa peau laiteuse, ses seins ronds et fermes dont les sombres aréoles invitent plus que des regards, les tétons qui se dressent fièrement pour témoigner du plaisir qu’ils trouveraient à être sucés, le ventre légèrement bombé, les flancs tremblotants, les hanches généreuses, les jambes élancées dont les pas de danse impriment des mouvements serpentins au corps qui ondule au rythme des notes parfumées de langueur. Et, au centre de ce corps qui bouge, se vautre, frôle, titille et provoque, la touffe reluisante de noirceur visqueuse, où s’engouffrent toutes les fantaisies qui, si elles pouvaient seulement en ressortir, embaumeraient à jamais les nuits à venir des mâles en rut.
Nathalie profite de l’après-midi pour emballer les cadeaux destinés à sa famille, et elle sourit quand elle réalise à quel point cette activité lui correspond. Plus tard, elle aussi sera emballée, beau présent en attente des mains qui la libéreront de son enveloppe. Elle a hâte de mettre, encore une fois, son costume de Mère Noël, avec sa jupe indécemment courte et ses cuissardes souples.
Deux heures plus tard, elle sonne à l’adresse qu’on lui a indiquée, munie de sa petite valise contenant les ustensiles dont elle a besoin pour une prestation parfaite. C’est une adresse privée, dans les quartiers verts de la ville, dans une rue calme. Cela la change des clubs et des petites salles où elle se produit devant des cadres d’entreprise ou des jeunes hommes en train de célébrer l’enterrement de la vie de garçon d’un des leurs. Derrière la porte, une femme l’attend, la quarantaine, belle, très soignée, au regard brillant.
— Bonjour, je suis ici pour le show. Vous, c’est Isabelle, je suppose ?
Isabelle, c’est le nom annoncé par l’agence. Cela ne lui arrive pas souvent de se présenter à une femme. Décidément, c’est un mauvais jour pour les habitudes. Les deux femmes se font la bise. Nathalie respire fort pour déguster le parfum qui lui titille les narines. Isabelle lui fait signe d’entrer, et l’installe dans le canapé du salon où elle la rejoint après avoir servi deux verres d’eau.
— Je vous ai fait venir pour l’anniversaire de ma copine. J’espère que cela ne vous dérange pas, un public uniquement féminin ?
— Mais non, répond Nathalie avec un sourire rayonnant. En plus, c’est plus sympa, en petit comité.
La femme en face respire profondément, soulagée.
— Manon ne va pas tarder. Vous avez besoin de quelque chose pour vous préparer ?
— Juste d’un endroit pour me changer. Vous savez, ça ne prend pas beaucoup de place.
Elle désigne sa petite valise et accueille avec un grand sourire les regards hésitants qui la parcourent de haut en bas. Isabelle se lève et conduit Nathalie à la salle de bains.
— Venez m’attendre devant le salon, dans un quart d’heure.
La porte se ferme et Nathalie, une fois seule, se déshabille devant le miroir démesuré qui lui renvoie le reflet de sa nudité resplendissante. Nathalie frissonne d’excitation, malgré la chaleur. D’un œil critique, elle vérifie son maquillage et son épilation. Impeccables. L’idée de se trouver seule avec deux femmes n’est pas pour lui déplaire. Même ses tétons n’ont pas besoin d’excitation supplémentaire pour se dresser, durs et fiers sous son regard inquisiteur.
Pendant qu’elle met son costume, elle entend la porte s’ouvrir et des pas résonner dans le couloir, tout près de son refuge. La belle vient d’arriver. Comme convenu, elle sort une quinzaine de minutes plus tard et attend devant la porte du salon. Il fait chaud dans la maison. Mais quelle n’est pas sa surprise, quand Isabelle se présente en costume d’Ève ! Fascinée, Nathalie cède aux charmes de cet inversement des rôles et enveloppe le corps en face d’elle de regards où affleurent une curiosité et un désir naissants. Elle serre la main que l’autre lui tend et pénètre dans l’arène avec le pressentiment que cette soirée sera différente des autres. La musique s’empare d’elle et du corps d’Isabelle collé contre le sien. Des frissons l’agitent au contact de cette présence duveteuse, légère et envahissante à la fois. Peu à peu, ses vêtements tombent sans qu’elle ait besoin de faire le moindre effort. Isabelle est juste parfaite et ses doigts experts manient un corps qui tremble d’anticipation. Les bouts de ses seins ne demandent plus qu’à sentir la langue et les grignotements de cette bouche qui vient de se poser sur la sienne. Sur son ventre, la chair de poule indique le passage des doigts agiles qui la parcourent. Ceux-ci glissent toujours plus bas, sur sa touffe façonnée en ticket de métro, autour des lèvres chaudes et luisantes de son sexe palpitant. Plongés au fond de son orifice gluant, ils remuent le liquide bouillonnant dont Nathalie voudrait inonder la bouche de Manon, dont les lèvres mordillent ses nymphes. Juste avant de succomber aux spasmes d’un premier orgasme, elle entend une voix résonner dans ses oreilles : « Joyeux Noël, Nathalie. »
Texte initialement paru le 10 décembre 2012 dans le recueil Les Dix… font le sapin ! publié par l’ancien éditeur numérique Edicool.