Cette interview a initialement été publiée le 14 février 2014 sur le blog de Jean-François Gayrard, éditeur de Numériklivres, maison nativement numérique. Suite à de multiples réarrangements du site, elle n’a plus été disponible depuis un certain moment. Je me permets donc de la sortir du néant.
Thomas Galley nous propose un second roman érotique, l’histoire de deux amants qui d’abord se sont séduits par écran interposé, grâce à la magie d’internet, et qui veulent concrétiser cet amour naissant, cette envie de se toucher, de fusionner, en organisant une rencontre à Paris. Nous allons les suivre dans cette conjugaison de leurs corps et de leurs âmes, dans l’épanouissement de leur sexualité, mais aussi dans l’affirmation d’une sorte de spiritualité qui accompagne leur amour. Le tout servi par une écriture qui sait être délicate parfois, et crue d’autres fois.
Vous tenez un blog, La Bauge Littéraire, sur lequel vous faites de magnifiques chroniques de lecture, et notamment de lectures érotiques. Et avec Les aventures intimes de Nathalie, c’est le second roman érotique que vous publiez chez Numeriklivres, après Les chattes. Qu’est-ce qui vous motive à écrire dans ce genre très particulier ?
Tout d’abord, merci pour toutes ces fleurs !
L’érotisme, est-ce un genre tellement particulier ? Dans un plus haut degré que, par exemple, la romance ? La poésie ? Je dirais que c’est, d’emblée, un genre comme les autres, tout en sachant que l’érotisme a la capacité de toucher les gens à un niveau plus intime, plus inavouable. Rares sont ceux, après tout, qui avouent avoir bandé en lisant telle scène des Chattes, par exemple. Écrire des romans érotiques, pour moi, cela signifie la volonté de ne pas me priver, de ne pas priver mes personnages ni mes lecteurs, d’un élément clé de l’humanité, nécessaire pour former un tout. Sans vouloir tout réduire au cul, évidemment ! En tant qu’écrivain, je dirais que l’arsenal de la littérature érotique me fournit des procédés et des ingrédients dont je peux me servir pour créer un monde, pour montrer les relations humaines, pour couper dans le vif de ce qui nous rend humain. En fin de compte, un arsenal qui permet de construire des hommes et des femmes entiers.
C’est pour cela aussi que l’érotisme n’est pas de la sous-littérature, comme certains continuent à le professer, ou de la littérature de gare, produite sans la moindre volonté littéraire pour des dirty old men. Je dirais même que, loin de là, il ajoute une dimension supplémentaire aux plaisirs de la lecture, une dimension profondément humaine par ce qu’elle nous fait ressentir, avec une pertinence rarement atteinte ailleurs, l’héritage animal conservé et véhiculé par nos gènes, héritage qui détermine une grande part de ce que nous sommes. Ce qui, par opposition, fait mieux encore ressortir notre côté humain !
Ensuite, petite réflexion pour terminer, le fait de montrer des hommes et des femmes nus, en train de faire l’amour, de baiser, de participer à toutes sortes de pratiques, pourquoi est-ce que ce serait plus honteux que celui d’imaginer – et de montrer à l’œuvre – des serial-killers, les uns plus sauvages que les autres ?
Où puisez-vous votre inspiration, comment construisez-vous vos histoires, quelles sont vos influences, vos auteurs fétiches, etc. ?
Dans la plupart des cas, l’inspiration me vient au lit ! Non, pas quand vous pensez, mais juste avant de m’endormir, quand je m’abrite derrière mes paupières pour imaginer des choses, susciter des images, voyager, évoquer des souvenirs. Et mon imagination (ou mon subconscient, nommez cela comme vous voudrez) enchaîne ces images, les emmêle, les continue, les projette dans d’autres régions et d’autres temps, les combine avec des souvenirs de mes lectures, et parfois, rarement, je vois surgir quelque chose qui puisse me servir de base à un récit. Ce fut notamment le cas des Chattes. L’idée initiale a été celle de l’annonce, et c’est de là que tout est parti, que tout s’est enchaîné. Je n’ai jamais aimé construire mes textes, je préfère me laisser emporter par l’intrigue, par ses ramifications qui naissent en écrivant et qui, parfois, me mènent ailleurs que ce que j’avais imaginé.
Quant à mes influences et mes auteurs préférés, il faut revenir à l’époque où la France a dominé le monde littéraire, à savoir au XIXe siècle, celui dont Paris, selon Walter Benjamin, fut la capitale. Stendhal, dont j’ai lu Le Rouge et le Noir à 15 ans, dans une traduction allemande, marque mon entrée dans la littérature, et après lui des auteurs comme Balzac, Hugo, Flaubert, Maupassant. À ceux-là sont venus s’ajouter des noms peut-être moins connus, aux livres moins lus, mais qui présentent un caractère autrement plus remarquable, plus trempé, comme Barbey d’Aurevilly (qui a fourni le sujet de ma maîtrise) ou Léon Bloy. Et puis, j’ai toujours aimé les courants cachés de la littérature, comme le romantisme noir, né en Angleterre du XVIIIe siècle et relayé par Chateaubriand, avec ses auteurs marginaux dont beaucoup attendent toujours leur heure et / ou sont à (re) découvrir, comme Péladan ou Frédéric Soulié. Pas le moindre auteur érotique là-dedans, vous dites ? Ma découverte de la littérature érotique est assez récente, mais je n’ai pas été étonné d’y retrouver de vieux amis, comme par exemple Apollinaire avec ses 11 000 verges ou Musset avec sa charmante et atroce créature Gavarni, femme dont le raffinement reste un sommet du genre. Mais toute la fascination pour l’avant-dernier siècle ne saurait obscurcir celle pour le baroque, ses romans qui sont de vastes enchaînements d’intrigues, une source narrative intarissable où on découvre la joie de conter à l’état pur. J’existe parce que je raconte, parce que je donne libre cours à tous ces mondes qui sont en moi. Cervantès, Scarron ou Grimmelshausen, ce sont autant d’univers qui se redécouvrent à chaque nouvelle lecture.
Une autre source majeure d’inspiration est la Science-Fiction, avec notamment des auteurs comme Dan Simmons, dont j’ai toujours admiré la diversité (de la SF, de l’horreur, de la romance) et son écriture à la fois dramatique et épique, et les créateurs de Space Opera comme Patrick Tilley et l’univers apocalyptique des Amtrak-Wars décliné en sept volumes, Asimov et sa psychohistoire autour de l’Empire galactique et la possibilité de sauver la civilisation de la barbarie, pour ne vous donner que quelques exemples. Je n’ai encore rien écrit dans le genre, mais j’avoue que cela me tente, même si mes préférences sont plutôt du côté du passé. Mais on y reviendra plus tard.
Comment vous définissez-vous en tant qu’auteur, est-ce par rapport au genre littéraire, donc la littérature érotique dans votre cas, ou à l’écriture tout simplement, qui peut être transgenre ?
Tiens, je viens de me rendre compte qu’il est très souvent question de genre par ici. La littérature serait-elle encore plus politique qu’on ne le pense ? Mais bon, blague à part, je ne me vois pas spécialement comme un auteur érotique, et je n’ai pas l’intention de me laisser enfermer dans, voire entraver par, une quelconque définition. J’ai, jusqu’ici, écrit des nouvelles et des romans qu’on peut à bon droit qualifier d’érotiques, mais cela ne saurait cacher qu’il y a, notamment dans Les aventures intimes de Nathalie, bien d’autres éléments encore, comme par exemple les promenades à Paris ou dans les musées. Mais comme je pense que l’érotisme est un élément foncièrement humain, j’imagine mal un texte sans le moindre élément érotique.
Quant à la forme qui puisse me convenir, je pense que je l’ai trouvée avec le roman, dans la mesure où celui-ci me permet d’être plus vrai, moins pointu, moins orienté vers une seule issue, plus libre aussi à expérimenter, par rapport à la nouvelle. Mais ceci est un choix tout à fait personnel, et d’autres s’accommoderont mieux de ce que d’autres genres ont à leur offrir.
Un mot quant à l’écriture en général et celles et ceux qui font ses basses besognes, à savoir les auteurs : ce qui m’étonne toujours, c’est la vie dure de l’image du poète comme une sorte de génie créateur, une espèce de démiurge qui se sert de sa parole pour créer des mondes, quelqu’un qui, par le pur fait d’exercer sa profession, aurait mérité qu’on lui colle aux lèvres et qu’on le consulte à propos des affaires du monde. Cela me fait tellement rigoler, vous n’avez pas idée. Quelle mégalomanie… Mais essayez donc tout simplement de procurer à vos lecteurs quelques heures de plaisir, d’évasion ou d’efforts intellectuels, faites les réfléchir, et voilà du travail bien fait !
Quels sont vos projets à venir, toujours de l’érotisme ? Ou quelque chose de complètement différent ?
Voilà finalement la question à laquelle j’ai plusieurs fois failli répondre. J’ai, depuis un certain temps déjà, le projet d’un roman historique dont le point de départ serait la ville de Cologne, colonie de droit romain, dans la Basse Antiquité, à l’époque des incursions « barbares », dont l‘intrigue permettrait aux protagonistes de parcourir une partie de l’Empire, à une époque charnière pour la future Histoire de l’Europe, entité culturelle en train de prendre forme dans les guerres et les migrations. C’est d’ailleurs une belle leçon pour notre époque frileuse qui a tendance à construire des murs et à morceler notre beau territoire : L’Europe n’existerait tout simplement pas sans les migrations qui se sont succédé depuis la Nuit des temps. Et celui qui s’enferme crèvera asphyxié dans l’air rance et stagnant de ses propres déchets. Tout compte fait, je devrais peut-être me mettre enfin pour de bon à prendre ce taureau-là par les cornes. Après tout, une bonne partie du travail de recherche est déjà fait et quelques chapitres ont déjà été rédigés. Mais quel que soit le résultat de ce nouvel élan créatif, une chose est certaine : Mes lecteurs pourront compter sur une bonne dose d’érotisme, parce que l’amour a été notre plus fidèle compagnon depuis toujours :-) Et une dernière révélation avant de terminer cet exercice : L’autre nuit, j’ai eu une petite idée quant à la suite à donner aux Chattes… Amateurs de félidés, vous voilà avertis.
Propos recueillis par Anita Berchenko