L’obscurité se blottissait contre l’énorme mur qui séparait la ville de l’aube. Massif, telle une ombre incarnée, il dressait sa bande noire devant l’horizon, coupant le monde en deux : de ce côté-ci, les ténèbres d’une nuit qui se prolongeait, de l’autre, le noir délavé d’un ciel où s’esquissait déjà la lumière blême des premiers rayons de soleil. À force de regarder, Rul croyait apercevoir comme un mouvement de vaguelettes venues se briser contre les pierres de taille dont les rangées montaient dans la nuit.
Il était à l’aise dans ce bout de nuit rétrécie, protégé par des milliers de tonnes de pierre posées entre lui et l’aube, cachant de sa vue la marée ondulante de verdure dont se paraient les interminables bois que le jour allait bientôt faire émerger du noir. Ces bois où fermentait l’inconnu. Rul laissait son regard parcourir le terrain vague légèrement en pente qui s’étendait à gauche et à droite, entre le palais et l’enceinte. L’air était humide après une nuit plutôt fraîche et les vapeurs qui montaient du sol lui apportaient des idées d’herbes et de terre mouillée. Au pied du mur, au cœur des ronces qui abritaient des nids d’oiseaux, éclatèrent des piaillements pour saluer le lent retrait de la nuit.