Article initialement publié le 9 juillet 2013 sur le blog de sanspapier.com, ancienne librairie en ligne. La librairie ayant mis la clé sous le paillasson, le texte n’est plus en ligne, mais peut encore être consulté sur la Waybackmachine. Pour la mise en page originale, consulter le fichier PDF créé à partir du site.
Marie est une petite curieuse. Alors, lorsqu’elle tombe par hasard sur un forum dédié aux questions sur l’homosexualité, son taux d’intérêt grimpe en flèche. C’est plus fort qu’elle, cela l’intrigue. Dans le cadre de son travail – Marie est auteur – elle fait la rencontre d’une journaliste à la chevelure incendiaire, Nadège, qui lui propose de l’initier aux plaisirs saphiques. Cependant, Nadège pose une condition : Marie ne devra toucher à rien, refuser tout, rester dans un rôle de simple spectatrice.
Curieuse comme elle est, Marie ne dit pas non. Elle va ainsi rencontrer les unes après les autres des figures de la nuit, des amoureuses passionnées, des prédatrices affamées et même des adeptes du SM chevronnées. Les récits des unes et des autres vont la mener au bord de l’extase… Au bord, mais pas davantage, condition oblige…
Je trouve ce livre assez prenant. En effet, si l’on passe sur la présentation initiale de Marie, jeune femme curieuse mais innocente et terriblement effarouchée, l’intrigue serpente entre récits érotiques, tableaux orgiaques et temps de latence. Si les soirées où Marie découvre l’homosexualité féminine sont intenses, ces moments sont entrecoupés de journées de réflexion. Cela laisse au lecteur le temps de désirer la prochaine expédition nocturne. Enfin, le fait que Marie soit interdite de toute participation aux jeux sexuels nous maintient en haleine tout le long du livre.
Thomas Galley réussit donc là son pari haut la main : Les Chattes est un livre érotique qui tient ses promesses.
Sanspapier.com s’est intéressé de près aux Chattes. Il a pisté Thomas Galley, a visité la bauge littéraire et c’est ainsi qu’il a rencontré le fameux Sanglier. Et nous de lui demander…
Bertille Marion : Pourquoi vous êtes-vous tourné vers le numérique pour être publié ?
Thomas Galley : Cela fait maintenant presque vingt ans que je travaille dans des domaines numériques, entre autre pour un éditeur de livres spécialisés et de logiciels grand public où j’ai été chargé du projet d’une encyclopédie numérique multimédia, sorte d’Encarta allemand. J’ai publié une version illustrée de mon premier roman,L’aventure de Nathalie, sur son propre site sous WordPress, et j’ai lu mes premiers livres numériques il y a 18 ans. Il ne fallait donc pas vraiment chercher très loin pour concevoir l’idée de faire confiance à un éditeur numérique. Et comme le patron deNumériklivres est très sérieux dans son engagement et dans sa volonté de façonner le nouvel écosystème qui tout doucement se profile, c’est lui vers lequel je me suis tourné. Cela, et le fait qu’il dispose, avec Sextasy, d’une très belle collection de titres érotiques. Et puis, j’adore cette effervescence qu’on rencontre un peu partout dans le petit monde numérique, où des petits éditeurs et des hommes et des femmes extrêmement engagés essaient de faire du nouveau, de laisser des marques. Et l’idée me ravit de contribuer quelque chose à ces efforts-là.
BM : Les romans érotiques sont un vrai succès en format numérique, à quoi doit-on ce succès, selon vous ?
TG : Ce n’est pas la première fois qu’une nouvelle technologie doit sa percée au cul, non ? L’exemple le plus flagrant étant sans doute les cassettes vidéo… J’ai discuté de la question avec une auteure de nouvelles érotiques qui est aussi une grande lectrice, et elle m’a expliqué que le fait de lire sur une liseuse ou une tablette lui convenait parce que cela la mettait à l’abri des regards lubriques. Vous savez, une femme qui lit des textes « cochon », elle passe toujours pour facile auprès de certains, et le numérique permet donc à ces lectrices de passer inaperçues. Et une liseuse, on peut la laisser traîner un peu partout, tandis qu’on ne voudrait pas vraiment exposer ses préférences littéraires aux collègues, aux profs ou à ses propres enfants en invitant leurs regards à venir se promener sur la couverture impudique de notre dernière acquisition « inavouable ». Parce qu’on a beau assumer, il y a des situations où il est préférable de ne pas trop s’afficher. Je dirais donc, pour conclure, qu’il y a de toute évidence une grande demande, de la part des lecteurs et des lectrices, de titres érotiques, et comme le numérique a permis de sortir ces titres des coins un peu glauques et mal fréquentés des librairies de gare, on voit exploser les chiffres de vente. Qui correspondent à un besoin qui ne date pas d’hier.
BM : Votre genre de prédilection est l’érotique, si l’on en croit Les Chattes et votre précédent ouvrage, Nathalie. Pourquoi ?
L’aventure de Nathalie n’est pas d’abord un roman érotique. C’est un texte qui m’a permis de me confronter à un épisode de ma vie, une rencontre qui m’a renvoyé à mon passé et à une histoire très mal digérée. Comme c’était une histoire d’amour, les scènes érotiques se sont imposées, mais l’écriture de ce roman n’a jamais été animée par la volonté de composer des scènes qui puissent inspirer ou faire fantasmer des lecteurs. Cela faisait partie du paquet et comme l’amour physique, c’est aussi l’incarnation de l’amour tout court, une sorte de réalisation, concrétisation, de l’inexprimable, sa place dans ce texte est assez importante. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’il y a autre chose dans cette Aventure-là : La religion, le rôle du passé, l’Art, Paris – une ville que j’adore et qu’en même temps je déteste, ville qui, pour moi, est toujours restée, malgré tout, « la capitale du XIXe siècle ».
C’est néanmoins l’écriture de ce premier texte littéraire qui m’a permis de me rendre compte d’une certaine prédilection pour l’érotisme, d’une certaine facilité aussi à me mettre dans la peau d’un couple en train de faire l’amour, de partager la confiance qui permet aux partenaires de faire sauter les barrières, de s’ouvrir l’un à l’autre, de s’exposer et de perdre les inhibitions trop souvent créées par une éducation qui ferme les yeux devant le physique. C’est par là que fonctionne Nathalie, cette volonté enfin assumée et mise en pratique de se livrer, de passer outre les expériences avortées et mal cicatrisées du passé. Et je me suis dit, à l’issue de cette expérience, qu’il faudrait continuer à explorer ces champs-là.
BM : Comment l’idée des Chattes vous est-elle venue ?
TG : Après Nathalie, je me suis donc dit qu’il fallait pousser plus loin dans ce domaine-là, de l’explorer en profondeur, si je puis dire. L’idée d’un roman lesbien a été déclenchée par la lecture d’un roman des années 90, Ev Anckert, de l’auteure québécoise Louise Auger, publiée l’année passée dans une édition revue par Numériklivres. C’est l’histoire de deux femmes, Ev et Isabelle, des lesbiennes confirmées contrairement à ma Marie, qui doivent apprendre à dompter leur farouche volonté d’indépendance pour permettre à leur amour de se réaliser. Le tout sur fond de l’émancipation des homosexuels dans les années 90. Et ma lecture, presque 20 ans après la première publication du roman, est tombée en plein milieu de la polémique autour du Mariage pour tous. C’est à ce moment-là que cela a fait tilt, que je me suis dit que ce n’était pas normal que cette question-là était toujours à l’ordre du jour. Et j’ai décidé d’écrire un roman érotique lesbien, mettant en scène des personnages forts qui assument leurs orientations sexuelles et pour lesquels le problème n’est pas la question de savoir si une femme peut aimer une femme, mais l’amour tout court, indépendant du sexe dont la nature les a dotées. Et, pour tout vous dire, j’ai voulu écrire un texte plus léger que Nathalie, plus pétillant, délesté du poids du passé.
BM : Dans Les Chattes, Nadège parle de ces hommes qui hantent les forums lesbiens dans l’espoir de voir leurs fantasmes réalisés. Ce livre qui nous emmène en terrain lesbien est-il un fantasme réalisé pour vous ?
TG : Je n’ai jamais hanté des forums lesbiens, mais je peux vous assurer que c’est une idée qui ne me laisse pas indifférent, celle de deux femmes qui font l’amour. Ce n’est pas pour rien que chaque film porno qui se respecte incorpore au moins une scène d’amours saphiques. Je pense donc qu’on peut dire que c’est, en quelque sorte, etaussi, un fantasme réalisé par l’écriture. Je dis bien aussi, parce qu’il y a bien plus dans ce livre qu’un fantasme réalisé. Les personnages sont autre chose que des véhicules à fantasme, mais des petits univers sur pattes qui renferment leur peurs, leurs aspirations, leurs expériences et – surtout – leur immense tendresse…
BM : Dans Les Chattes, vous prenez la plume et vous glissez dans la peau d’une femme. Comment fait-on parler et penser l’autre sexe ?
TG : Franchement ? Je ne sais pas. À vous de me dire si c’est réussi. Ce que je peux confirmer, c’est que, chaque fois que je me suis mis à écrire une des scènes d’amour des Chattes, c’était avec une extraordinaire facilité. J’ai senti l’écriture s’épanouir. Il a été beaucoup plus difficile d’inventer et d’écrire les passages qui les relient. Sans pour autant vouloir affirmer que ceux-ci valent moins que ceux-là. Un autre point : En écrivantL’aventure de Nathalie, surtout les passages érotiques, je me suis senti bizarrement plus proche de Nathalie que de Stefan. C’est à se demander si Anne Bert n’a pas raison quand elle dit, sur son blog Impermanences, que « Thomas Galley a dû être femme dans une autre vie ».
BM : Avez-vous d’autres projets littéraires ?
TG : Il y a un projet assez ancien que je traîne avec moi depuis des années et dont je ne trouve pas l’angle d’attaque qui me permettrait de sérieusement avancer, à savoir celui d’un roman historique dont l’action se situe à Cologne, dans la deuxième moitié du 3ème siècle, période où l’Empire Romain était près de sombrer sous les coups farouches des tribus germaniques et a pu être sauvé in extremis par les efforts des Empereurs de Gaule et ceux de Dioclétien. J’ai terminé quelques chapitres, mais pour l’instant, il me manque encore une vision globale de ce que pourrait être un tel roman. Il y a des scènes que j’arrive facilement à composer, comme celle qui ouvre le récit, où un des protagonistes monte sur le mur d’enceinte pour contempler, à l’aube, la forêt vierge sur la rive droite du Rhin. Je dirais même que c’est un de mes passages les plus réussis, mais de là à en faire un récit qui tienne debout, il y a loin.
À part cela, je participe assez souvent aux titres de la collection Les Dix d’Edicool, maison numérique pour laquelle j’assume parfois la direction d’un de leurs titres, ce qui me permet de travailler avec des gens extraordinaires et de proposer à des plumes amies, débutantes aussi bien que confirmées, d’exercer leur art et de se trouver un public.
À part ça, je ne compte pas délaisser l’érotisme, un champ bien vaste qui reste à explorer, qui permet de faire de belles découvertes et où le plaisir est omniprésent Ceci étant dit, je n’ai pas encore trouvé le sujet de mon prochain texte, j’attends que cela me travaille assez les neurones pour m’y mettre de façon sérieuse.